CHIP, fertilité et bénéfice hormonal
Pr Pablo Ortega-Deballon, Service de Chirurgie Digestive et Cancérologique, CHU de Dijon, réseau RENAPE
Quand on vous annonce avant 40 ans que vous avez une tumeur disséminée dans le péritoine et qu’il faut vous soumettre à une intervention qui peut durer entre 6 et 12 heures, vous comprenez bien que votre vie est en jeu. Tous vos projets et rêves d’avenir se réduisent à vouloir survivre. Vous êtes prête à tout sacrifier pour vivre. Vivre. Tout le reste est foutaise, banalité. Avoir des enfants ou pas, être ménopausée ou pas, semble une préoccupation « ridicule » à côté de l’enjeu de la survie.
Heureusement, les résultats de la chirurgie de cytoréduction associée à une chimiothérapie hyperthermique intra péritonéale (CHIP) rendent la guérison de plus en plus fréquente, en particulier dans certaines maladies. Vous en avez de nombreux témoignages au sein d’AMARAPE. Beaucoup de jeunes femmes sont guéries après leur traitement et reprennent une vie normale, avec tous leurs projets et activités, sur le plan personnel et professionnel. Et cela inclut le désir éventuel d’une grossesse…
La chirurgie (même une intervention aussi « simple » que l’appendicite) induit des adhérences qui ont un effet négatif sur la fertilité. Cela est connu et démontré. Combien plus la cytoréduction ! Si, en plus, on tient en compte l’effet de la chaleur sur les ovaires et de leur bain dans la chimiothérapie, on peut imaginer qu’avoir une grossesse après CHIP est moins « évident ». Même en dehors de toute considération autour du risque d’évolution de la maladie. Et, pourtant, c’est possible !
Nous avons publié en 2011 les résultats d’une enquête mondiale (« baby HIPEC ») réalisée parmi les différentes équipes du PSOGI (réseau réunissant les différentes équipes au monde ayant une expertise des tumeurs du péritoine) à propos de la fertilité chez les femmes ayant eu un traitement par CHIP. Le simple fait qu’on s’intéresse à la question de la fertilité dans une maladie à risque vital (ou la question de la fertilité pourrait sembler « secondaire ») illustre déjà de façon explicite que les résultats du traitement sont très positifs. On ne s’occupe plus seulement de « sauver la vie » d’une femme, mais de lui permettre de « donner la vie » à son tour. Nous avons pu colliger à cette occasion 7 femmes ayant eu une grossesse spontanée après la CHIP, dans différents pays (France, Etats-Unis, Allemagne). Un cas supplémentaire existait dans la littérature. Elles avaient toutes moins de 35 ans lors de la CHIP et ont été enceintes dans les 30 mois suivant la procédure (la plus précoce 14 mois après), presque toutes de façon spontanée (sans appel à procréation médicalement assistée). Cinq d’entre elles avaient été traitées pour une PMP et deux pour un mésothéliome. Dans 2 cas, la maladie avait été découverte lors d’un bilan d’infertilité. En effet, c’est souvent la maladie péritonéale qui empêchait la fertilité et le fait de la traiter fait disparaître l’obstacle à la grossesse.
La concentration autour de ces 2 maladies (pseudomyxome et mésothéliome) s’explique facilement par :
- l’âge, car ce sont des maladies du péritoine que l’on voit plus chez les jeunes, à différence du cancer du colon ou de l’estomac, qu’on voit plus chez des personnes plus agées, et
- le fait que pour le cancer de l’ovaire on ne préserve pas l’appareil génital au cours de l’intervention.
Même si nous n’avons pas documenté cela pour l’instant, il semble possible qu’une jeune femme atteinte d’un cancer du colon ou de l’estomac (souvent dans un contexte génétique) puisse conserver sa fertilité si son utérus et au moins un des ovaires sont préservés. Le message à retenir est que la fertilité est possible après CHIP si l’âge et le sacrifice de l’appareil reproducteur ne l’empêchent pas.
Pour cette même raison, il est important d’être consciente qu’une contraception efficace doit être mise en place rapidement après la CHIP, dès la reprise de la vie sexuelle, pour éviter une grossesse non désirée ou excessivement précoce (ce qui pourrait rendre plus difficile le suivi). En effet, à l’heure d’envisager une grossesse on sera tiraillés entre la peur de faire « trop tôt » après l’intervention et la peur de laisser passer le temps (avec la diminution de la fertilité liée à l’âge et le risque de récidive). Une période « de sécurité » d’environ 2 ans après la CHIP était recommandé par notre groupe. Si vous envisagez une grossesse, il est indispensable d’en discuter avec l’équipe qui a pris en charge la maladie péritonéale à la fois qu’avec un gynécologue. Ils sauront vous accompagner dans cette démarche.
Même si en France la gestation pour autrui n’est pas légale, elle l’est dans d’autres pays. En effet, nous avons eu aussi le rapport d’une femme ayant réalisé une préservation d’ovocytes 2 mois avant sa CHIP ; 4 ans plus tard des embryons fécondés par son conjoint ont été transférés à une mère porteuse et elle est devenu mère a 42 ans. Dans l’éventualité ou cela deviendrait possible dans le futur, il semble prudent de réaliser une préservation d’ovocytes ou de tissu ovarien quand cela est compatible avec le plan thérapeutique.
Dans 2 cas très particuliers, des femmes connues comme porteuses d’une maladie péritonéale à faible agressivité ont fait le choix (en accord avec l’équipe médicale) d’accomplir leur désir de grossesse avant d’envisager le traitement de la maladie. Les suivis de grossesse ont été faits avec des échographies et des IRMs périodiques pour surveiller à la fois le développement du fœtus et l’absence de progression de la maladie péritonéale. Il n’y a eu aucun problème de ce type pour ces 2 femmes qui ont accouché de 3 bébés sains (l’une était une grossesse double après fécondation in vitro) et ont été traitées de leur maladie péritonéale par la suite. Dans ces situations il faut essayer d’éviter la césarienne dans la mesure du possible pour éviter d’essaimer des cellules tumorales à ce moment.
Par ailleurs, même si vous ne souhaitez pas (ou vous ne l’avez pas décidé) d’avoir un enfant par la suite, la réimplantation du tissu ovarien permettra d’avoir les bénéfices du cycle hormonal sur la santé (même s’il n’arrive pas à préserver la fertilité). Ce bénéfice ne doit pas être négligé car il est très important au niveau cardiovasculaire et dans la prévention de l’ostéoporose. Il ne s’agit plus là d’un problème de fertilité, mais de santé. A 40 ans cela n’est peut être pas capital dans la mesure ou l’âge de la ménopause n’était pas très loin et le nombre « d’années hormonales » à gagner était faible. Mais à 25 ans cela comporte un potentiel bénéfice majeur en termes de santé globale.
Notre travail a « réveillé » le sujet de la fertilité et de la préservation du cycle ovarien dans les équipes prenant en charge les tumeurs du péritoine. Différentes équipes ont proposé des schémas pour la prise de décision concernant la préservation des ovaires lors de l’intervention ou le prélèvement d’ovocytes et/ou tissu ovarien avant l’intervention. Il y a à l’heure actuelle au moins 10 bébés CHIP documentés dans le monde (probablement d’autres).
Concernant le déroulement de la grossesse, l’accouchement et la santé du nouveau-né, les données que nous avons sont assez rassurantes. Un seul enfant a présenté des problèmes de santé à la naissance (une hernie diaphragmatique avec insuffisance respiratoire ayant nécessité une chirurgie en urgence). Les autres ont été parfaitement sains et la plupart des accouchements se sont passés par voie vaginale. Concernant l’évolution ultérieure de la maladie, toutes les femmes de notre rapport étaient sans récidive lors de la rédaction du manuscrit (suivies entre 42 mois et 10 ans).
En tous cas, si vous aviez un projet de grossesse avant de connaître votre maladie, il est important d’en discuter avec le chirurgien qui va vous prendre en charge. Cela peut vous paraître banal par rapport au risque vital lié à votre maladie et à l’intervention chirurgicale majeure à laquelle vous allez être soumise, mais c’est le moment d’aborder ces questions. En effet, le chirurgien vous dira s’il pense pouvoir préserver au moins un ovaire et l’utérus sans prendre de risque sur la qualité de l’opération. Même si l’appareil reproducteur doit être sacrifié, une préservation préalable d’ovocytes ou de tissu ovarien peuvent être discutées avec un spécialiste de la fertilité.