Dans les yeux d'une maman
Il y a deux ans de cela, en juillet, un premier coup de tonnerre : on découvrait chez toi Lucie, ma fille, une tumeur de 26x15x13 cm logée au creux de ton ventre…
Le ciel venait de s’obscurcir brusquement ! Avant l’opération prévue dans les 15 jours suivants, personne ne veut trop se prononcer. Arrive enfin le jour attendu, mais redouté de l’opération sur Reims, là, une équipe va te retirer une tumeur de 7 kg….. à demi-mots nous comprenons que l’aspect de celle-ci ne laisse rien présager de bon….
Jusque-là, tu affrontes tout avec courage et sourire.
Les prélèvements partent pour analyse, nous allons devoir vivoter durant 3 longues semaines. Au bout de ce laps de temps, en Septembre, nous prenons la route pour le rendez-vous post-opératoire. Durant celui-ci, nous allons apprendre que d’autres prélèvements vont être envoyés sur les centres de Bordeaux et Lyon, nous repartons donc pour trois nouvelles semaines d’attente.
Tu vas bien, la cicatrice de ta laparotomie est belle.
Le temps semble une éternité et dans ma tête tout se bouscule, à quoi avons-nous à faire ??? Oui, on envisage la maladie grave, mais on garde le cap et le moral, on se serre les coudes !
Nous voilà en Octobre, ce jour où l’orage se déchaine, en 5 mn le monde bascule, les mots sont trop durs à entendre : Pseudomyxome péritonéal de haut grade, on nous précise qu’il s’agit d’une maladie rare, un cas sur des millions….. Sitôt l’annonce faite, nous devons choisir le lieu où tu seras suivie et opérée, Paris ou Lyon, nous optons pour Paris.
Tu quittes le bureau du Professeur en pleurant.
Je te retrouve dehors, complétement sonnée et moi aussi, la force de tenir debout, je la puise dans les yeux de celui qui partage ma vie. Il faut maintenant prévenir ta sœur et ton papa du diagnostic, nous sommes divorcés mais nous allons devoir jeter toutes nos forces dans la bataille, à tes cotés ! Sur l’autoroute du retour, l’ambiance est silencieuse, tu vas me demander d’un coup : « alors je vais mourir maman ? » Ce à quoi je m’efforce de répondre, oui, un jour, comme moi, comme d’ailleurs chacun sur cette planète…. Rentrée à la maison, après t’avoir déposée chez toi, je m’effondre, un mélange de peur, d’impuissance, de colère et de pourquoi toi ???
Notre premier rendez-vous à Paris, va nous faire rencontrer la personne qui va nous expliquer, nous écouter, mettre des mots, nous rassurer et nous permettre de voir une petite lueur dans tout ce tumulte ! Le contact passe d’emblée, avec celle qui va t’opérer, nous avons confiance et cela va beaucoup nous aider !
Une date est fixée, une durée d’opération prévue d’environ 10 heures, on nous explique la CHIP, cette chimio thermique. Ce mardi-là, sera le plus long de ma vie, tu vas partir au bloc vers 8h et jusqu’à plus de 23 h, je n’aurais aucune nouvelle, je suis sur place dans une toute petite salle d’attente, à un mètre de la porte du service réanimation où tu vas bien finir par arriver !!!????? Mon chemin va croiser celui de l’infirmière cadre du service des urgences, qui me trouve en pleurs, je vais enfin avoir des nouvelles, elle va se renseigner ! Tu vas remonter vers minuit me dit-on, après 13 heures d’opération…. Sur ces 13 heures notre Dame de confiance ne se sera éclipsée que 45 minutes ….. Je vais enfin te voir vers 1 h du matin, tu es là, tes yeux sont fermés et je pense que tu dors encore sous l’anesthésie, mais lorsque je prends ta main et te dis un je t’aime, tu parviens à susurrer un « moi aussi ». J’ai un choc en te voyant, les 30 litres d’eau injectés pour contrer les ravages potentiels de la chimio thermique, t’empêchent même d’ouvrir les yeux, je te reconnais mais ce n’est pas toi, tu es toute gonflée, boursouflée ! Tu n’as plus d’ovaire, plus de rate, ni de vésicule, ni d’épiploon, mais je sais que tu vas te battre !
Les jours qui suivent l’opération tu es d’une bravoure incroyable, et je ne suis pas la seule à le penser et à le constater. Tu sidères la kiné lorsque tu fais le quadruple des pas qu’elle attendait de toi. Cependant il y a un hic, tu as peur de dormir, le fait de n’avoir pu ouvrir les yeux à ton retour du bloc, t’empêche de les fermer sereinement ! Qu’il est impressionnant ce dispositif autour de toi, les seringues, les capteurs, ce qui injecte, ce qui aspire, ces flacons qui contiennent des liquides aux couleurs improbables… le samedi, 4 jours après l’opération, je constate que tu ne parles pas, ce qui ne te ressemble pas, tes jambes sont froides, je le signale au service et prends le chemin de la maison, car oui, rester près de toi était indispensable. J’avais surtout la chance de bénéficier de la chambre des familles au sein du service réanimation, quelle belle idée cet endroit, on se sent déjà si impuissant déjà, qu’il est primordial d’être au moins là. Ce même samedi vers 23 h, on m’appelle pour me dire que tu vas repartir au bloc, pour une septicémie et une péritonite, alors je reprends la route pour être à tes côtés, je te verrais avant l’intervention, tu reviendras avec ce que tu appréhendais le plus, une poche de stomie !
Tu accuses le coup, mais reste positive tant que ton papa ou moi sommes près de toi.
La réanimation, tu vas y passer 3 semaines, puis nous allons devoir changer d’étage, ce qui implique de déménager aussi la quantité de peluches qui t’accompagne malgré tes 22 ans.
Tu commences enfin à manger à nouveau, puis fin décembre tu vas rentrer à la maison, séjour de courte durée, tu ne vas pas te sentir bien : ton cœur bat vite, très vite, trop vite ! Le médecin t’oriente vers les urgences, à 17h le verdict : embolie pulmonaire. Tu vas me faire à nouveau le coup du « Je vais mourir Maman ? » Cette fois, je te répondrais que « non, pas ce soir, ce n’est pas prévu » Tu partiras sur un brancard et moi dans les bras de celui qui est toujours à mes côtés. Nous aurons de la chance et ça ne fait pas de mal, le caillot sera, dans la mesure du possible, bien placé.
Toute cette période, je respire comme en apnée, et je reprends quelques bouffées d’air quand le sort cesse de s’acharner. Excepté tes deux questions, tu bluffes tout le monde, tu te soucies plus de l’effet de cette maladie sur ceux qui t’aiment, que de ce que tu endures.
C’est la poche de stomie qui, après avoir été ôtée et refermée, va te jouer des tours, nous allons revenir sur Paris et le nécessaire sera fait pour décoller l’intestin de la cicatrice fraîche de la stomie, nous sommes en mars. Mars.
Mars, le printemps et le départ vers un renouveau auquel je m’efforce de croire, de toutes mes forces et j’ose me dire que le plus dur est enfin passé.
Pouvoir enfin respirer à pleins poumons, lever la tête pour faire autre chose qu’affronter de pleine face chaque coup dur de ton parcours du combattant ! Avoir été présente le plus souvent possible, c’est tout ce que je pouvais faire, te tenir la main, te faire rire, t’admirer, t’aimer de tout mon cœur, être fière de toi et de ta sœur qui s’est lancée dans une préparation militaire marine, probablement sa bouée durant cette période.
L’amour, la résilience, le courage et la confiance sont des valeurs indispensables à mon sens, en ai-je suffisamment fait preuve durant ces moments, je ne sais pas. D’ailleurs, dans l’œil de ce cyclone il est si difficile de savoir quoi que ce soit… On sait juste qu’il faut tenir et avancer coûte que coûte.
Cet épisode cauchemardesque de notre vie est fort, fort de rencontres, du soutien précieux de mon compagnon, de la famille, des amis et collègues, mais quelle leçon de vie et de prise de recul.
Je tiens à remercier particulièrement et de tout cœur, le docteur et l’équipe ayant œuvré toutes ces heures, quel admirable et laborieux travail vous faites, cela pour tu puisses encore rayonner aujourd’hui, comme tu sais si bien le faire !